Il y a vingt ans, Yinglu HUANG est venue en France avec une bourse du gouvernement français pour étudier le cinéma ; pendant 10 ans, elle a participé à la promotion du Festival du Cinéma Chinois de Paris. Actuellement, elle préside l'Association franco-chinoise pour la Coproduction et la Diffusion de Films. Un an après la création de l'association, elle répond à 8sino.
Selon elle, il faut se situer sur une scène mondiale pour avoir une vision globale ; une compréhension mutuelle sur la culture de l'autre est la base de la collaboration à long terme. Elle invoque trois conditions nécessaires pour une diffusion internationale des films : se concentrer sur une histoire et la façon de la raconter ; avoir des personnages au caractère affirmé et attachant, véhiculer des valeurs universelles et des sentiments reconnaissables par tous.
1. Bonjour, merci d'accepter notre interview. Pouvez-vous parler de votre objectif en créant cette association ?
L'Association pour la Coproduction et la Diffusion de Films (A.C.D.F.) a été créée en janvier 2016. Elle sert de plate-forme pour engendrer des synergies entre les cinéastes et les étudiants franco-chinois. Notre but est d'encourager les cinéastes chinois et ceux en passe de le devenir de produire des films d'auteur, afin d'améliorer la situation actuelle du marché chinois, qui est monopolisé par des films commerciaux.
2. Est-ce que l'association va intervenir sur la fabrication d'un film, en particulier l'écriture, le financement, la production et la distribution ?
Notre association se définit comme une pépinière de projets aptes à devenir des coproductions franco-chinoises. Nous nous concentrons également à obtenir un succès de la diffusion tant sur le marché chinois que sur le marché international.
Pour que le projet possède les qualités nécessaires à la coproduction et à la diffusion internationale, nous intervenons dès l'étape de la conception, en donnant des conseils pour définir le genre du film, les spectateurs ciblés, avant l'écriture du scénario. Une fois le synopsis bien défini, nous recommandons le projet à des producteurs et des financiers, puis nous réunissons les producteurs, réalisateurs et scénaristes pour élaborer un scénario solide visant à la distribution internationale.
3. Lors d'un déplacement en Chine en 2010, le président Sarkozy ratifiait un Accord pour la Coproduction franco-chinoise de films. Depuis, un film coproduit bénéficie d'une double nationalité : il est considéré comme un film chinois en Chine et comme un film français en France. Ainsi un film chinois peut partager le box office en France, et être distribué en Europe. La France pourrait attirer davantage de tournages de films chinois sur son territoire, et exporter plus de films sur le marché chinois. Force est de constater qu'il y a eu peu de succès notoire. Selon vous, quelle est la principale difficulté ? Le financement, la culture, ou bien les méthodes de travail ?
Actuellement, rares sont les films chinois qui rencontrent un succès à la fois sur le marché intérieur et sur le marché extérieur. Très souvent, un film qui connaît un bon box office en Chine n'intéresse pas les spectateurs étrangers, à cause d'attentes différentes non prises en compte à la conception. Néanmoins, la coproduction encadrée par l'accord gouvernemental représente des avantages non négligeables. Des approches culturelles et des apports financiers sont d'autant plus appréciables, à condition que les deux parties partagent le principe d'avancer main dans la main. Notre mission est de jouer le rôle de médiateur, en préparant le chemin avec la ferme conviction que les difficultés ne sont que temporaires. En ce qui concerne la Chine, le climat deviendra favorable à une collaboration internationale, grâce aux changements de mentalité et à une meilleure compréhension.
4. Pouvez vous citer un exemple?
Il y a une dizaine d'années j'avais écrit un scénario sur une danseuse chinoise à Dunhuang. Il a été censuré par le Bureau de Cinéma pour la raison suivante : une femme respectable ne peut aimer trois hommes dans sa vie. Dix ans après, ce n'est plus un problème. Aujourd’hui, les chinois sont ouverts d’esprit sur l’amour. J'ai entendu des cas de divorces et de remariages juste pour faciliter des achats ou ventes immobiliers.
5. En général, on considère qu’il y a plus de pistes pour trouver de l’argent en Chine, malheureusement, les hommes d'affaires chinois préfèrent investir dans des films commerciaux ou des séries télévisées. Cependant je connais des réalisateurs français comme Philippe Muyl, réalisateur du Promeneurs d'Oiseaux qui se battent pour réaliser des films d'auteur qui lui tiennent à cœur. L'association pourra-t-elle aider à ce genre de financement?
Actuellement le marché du cinéma chinois présente un aspect chaotique. Certains investisseurs transfrontaliers ne disposent pas du niveau culturel nécessaire. Des cinéastes ont l'impression d'être victimes des enjeux financiers. Le cinéma n'est pas un art personnel, et un film n'est pas réalisable par un artiste isolé dépourvu de financement ou d'esprit d'équipe. D'un autre côté, les concessions ont une limite, un film d'auteur doit respecter les règles de l'art et les choix des artistes.
6. Le tournage d'un film étranger en France bénéficie d'aménagements fiscaux. A partir de 2015, selon la politique d'aide financière de la production internationale (TRIP), l'aide peut atteindre de 20 à 30% de la totalité des frais en France, si les conditions suivantes sont remplies : une partie d'histoire se déroule en France, plus de 5 jours de tournage ou post-production en France, les dépenses en France dépassent la moitié du budget. Cela semble stimulant, mais des problèmes s'ensuivent : faire sortir une grande somme d'argent de Chine demande un long processus d'autorisation et d'imposition ; en fonction de la catégorie de visa, le séjour du personnel de tournage en France est limité. Ainsi, beaucoup de cinéastes chinois préfèrent partir au Japon ou en Corée du Sud pour des avantages de proximité et de technologie. L’association ne peut-elle inventer une solution, par exemple, alarmer les autorités ?
Découvrir un problème et poser une question sont les premiers pas vers une solution, telle est la raison pour laquelle notre association a été créée. Nous essayons de réunir le plus de cinéastes et d'organismes possibles pour trouver des solutions. Actuellement des cinéastes chinois travaillent plutôt avec les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud pour des raisons économiques et de proximité géographique. Mais entre la Chine et ces pays existent un fossé idéologique plus profond qu'on l'imagine ; en revanche, la Chine et l'Europe ont toutes les deux une vieille civilisation, la compréhension culturelle et l'entente idéologique sont plus faciles à atteindre. Évidemment, dans la pratique il y aura toujours des obstacles à surmonter, il faut préciser que la règle de base que notre association s'impose est : agir toujours avec une vision à long terme.
7. Étant présidente d'une association de cinéastes basée en France, quels sont vos conseils pour les jeunes diplômés chinois des écoles de cinema en France?
Le premier conseil que je leur donne est de prendre leur temps en acquérant de la maturité. Je suis venue il y a vingt ans en France pour étudier le cinéma avec une bourse du gouvernement français. Une fois diplômée, mon rêve était de réaliser un film historique qui puisse présenter la culture chinoise. Quitter son pays c'est pour gagner de la hauteur, avoir un aperçu dans sa totalité, comprendre son besoin et le lui procurer par la suite. Quand on se trouve sur la scène mondiale, son point de vue est forcément différent que celui à l’intérieur, on s’interroge sur de nouvelles questions. Quand je discute avec de jeunes réalisateurs de notre association, je les mets en garde sur la situation actuelle en Chine, qui est tel un torrent qui emporte tout sur son passage. Il est très difficile de ne pas se laisser engloutir, surtout pour ceux fraîchement sortis de l'école. A l'étranger ils peuvent se sentir seuls ou privés d'occasion, mais cet isolement est une opportunité pour aller vers la découverte de soi et pour réaliser des créations originales. S'ils savent profiter pleinement de cette période pour sortir leurs œuvres avant de rentrer en Chine, ils auront acquis de la maturité, une sorte de système immunitaire contre le monde environnant et des forces pour le changer.
8. Il est très fréquent qu'un film coproduit réussisse mieux chez les critiques qu'au box-office. Il est prédestiné à une diffusion à l'étranger ou à la participation aux festivals pour gagner en notoriété, mais il est quasi impossible de récupérer les investissements. Qu’en pensez-vous ?
Avant de créer l'association, nous avons soutenu le Festival du Cinéma Chinois de Paris. Nous avons vu de nos propres yeux comment la présidente du festival, madame Gao se démenait pour faire connaître le cinéma chinois dans un pays étranger. Actuellement elle élargit ses activités à la distribution internationale. Elle incite depuis des années les producteurs chinois à offrir gracieusement leurs films afin de former le regard des spectateurs étrangers et qu'ils prennent goût à regarder des films chinois.
Il manque terriblement de films d'auteur en Chine. Des films de petit budget prétendent être des films d'auteur pour cacher ses défauts techniques ou conceptuels. Nous avons besoin de temps pour se débarrasser de cette attitude impétueuse et se consacrer à un travail consciencieux. L'industrie du cinéma chinois manque de grands maîtres, nous nous trouvons encore dans une étape d'apprentissage. Le cinéma français peut nous apporter ce dont nous avons besoin, si nous l'impliquons par une coproduction, il va de soi que l'on nous aidera aussi pour la diffusion à l'international.
9. Une dernière question: certains films chinois qui obtiennent une bonne recette dans le marché intérieur, rencontrent un gros échec à l'étranger. Concernant la diffusion des films chinois à l'international, pourriez vous en parler avec un exemple concret ? Merci !
Récemment j'ai assisté à la projection du film Le moine Xuanzang pendant le Festival du Cinéma Chinois de Paris. Malgré un gros budget, il n'a pas pu toucher le cœur des spectateurs français. Le film concerne l’histoire et la culture chinois, mais l’intrigue est mal construite. C'est dommage qu'un si bon sujet soit traité de façon tellement légère. Par conséquent, il devient un genre de film touristique et paysagé. Si notre association avait participé à ce projet, nous aurions donné les conseils suivants : restructurer l'histoire ; mieux explorer le monde intérieur du protagoniste ; réécrire les dialogues et voix off ; le choix du premier rôle ne peut pas simplement être une grande star car cette méthode ne marche pas à l'étranger. Un film destiné à la distribution internationale doit avant tout se concentrer sur une histoire et la façon de la raconter, avec des personnages attachants, il véhicule des valeurs universelles et des sentiments reconnaissables dans n'importe quel pays, par n'importe quelle communauté.